VALEURS MOBILIÈRES - 05.09.2024

Vente de titres démembrés : le nu-propriétaire ne peut pas déduire les droits de donation payés par l'usufruitier donateur

En cas de cession conjointe de titres avec remploi du prix et report du démembrement, le nu-propriétaire, seul imposable sur la plus-value, ne peut pas déduire de celle-ci les droits de donation de la nue-propriété des titres pris en charge par l'usufruitier donateur (CE 8e-3e ch. 17‑6‑2024 n° 488488) .

Les circonstances de l'affaire

Par un acte de donation-partage, une contribuable reçoit de ses parents la nue-propriété de titres, ses parents s'en réservant l'usufruit. Les droits de donation relatifs à cette libéralité sont acquittés par les donateurs.

Environ 2 mois plus tard, les titres sont cédés en pleine propriété à un tiers, le prix de cession étant remployé pour constituer deux sociétés civiles, avec report du démembrement sur les parts sociales souscrites.

La nue-propriétaire, seule imposable sur la plus- value de cession, demande – sans succès – à l'administration, puis aux juges du fond, la réduction de l'impôt sur le revenu qu'elle a acquitté, à concurrence de la prise en compte dans le calcul de la plus-value des droits de donation payés par ses parents.

La décision du Conseil d'État

Le Conseil d'État confirme la décision de la cour administrative d'appel.

Il rappelle que, en cas de cession conjointe par l'usufruitier et le nu-propriétaire de titres démembrés avec remploi du prix de cession dans l'acquisition d'autres titres dont les revenus reviennent à l'usufruitier et report du démembrement, le nu-propriétaire est seul redevable de l'impôt au titre de la plus-value globale réalisée.

Il rappelle également le principe selon lequel, pour le calcul du gain net imposable, il y a lieu de déduire du prix effectif de cession de ces titres ou droits les frais et taxes acquittés par le cédant au titre tant de leur acquisition que de leur cession (CE 11‑5‑2017 n° 402479) .

À noter

Par une décision du 11 mai 2017, le Conseil d'État a en effet jugé que :

  • pour le calcul de la plus-value réalisée, le prix effectif d'acquisition des titres comprend l'ensemble des frais et taxes qui ont grevé l'acquisition, tant de la nue-propriété que de l'usufruit, alors même que ces frais ont été acquittés par l'usufruitier ;
  • par suite, le nu-propriétaire peut déduire de la plus-value imposable entre ses mains les frais acquittés par l'usufruitier pour l'acquisition de l'usufruit.

La Haute Juridiction clarifie la portée de ce principe dans une affaire où le nu-propriétaire entend cette fois-ci déduire les droits de mutation acquittés, lors de la donation de la nue-propriété des titres, par les usufruitiers également donateurs : elle juge que ces droits ne peuvent pas venir en déduction de la plus-value globale imposée entre les mains du nu-propriétaire.

Le nu-propriétaire est ici seul imposable au titre de la plus-value globale réalisée...

S'agissant de l'identification du redevable de l'imposition due au titre de la plus-value réalisée selon les modalités ci-dessus indiquées, le Conseil d'État réaffirme les principes issus de sa jurisprudence antérieure (notamment CE 17‑4‑2015 n° 371551 et CE 2‑4‑2021 n° 429187) .

Ainsi, l'imposition de la plus-value constatée à la suite des opérations par lesquelles l'usufruitier et le nu- propriétaire de parts sociales procèdent ensemble à la cession de ces parts sociales se répartit en principe entre l'usufruit et la nue-propriété selon la valeur respective de chacun de ces droits. Toutefois, lorsque les parties ont décidé que le prix de cession sera nécessairement remployé dans l'acquisition d'autres titres dont les revenus reviennent à l'usufruitier, la plus-value réalisée n'est imposable qu'au nom du nu-propriétaire.

... les droits de donation ne sont pas déductibles s'ils ont été acquittés par le donateur…

Aux termes de l'article 150-0 D du CGI, les plus- values sont calculées par différence entre :

  • le prix effectif de cession des titres ou droits, net des frais et taxes acquittés par le cédant ;
  • et leur prix effectif d'acquisition par celui-ci ou, en cas d'acquisition à titre gratuit, leur valeur retenue pour la détermination des droits de mutation.

Le Conseil d'État juge que les dispositions de cet article font obstacle à ce que les droits de mutation acquittés par le donateur à l'occasion de la transmission à titre gratuit des titres en vertu d'une stipulation de l'acte de donation soient déduits du gain net imposé entre les mains du donataire, dès lors que ce dernier ne les a pas lui-même acquittés.

Le Conseil d'État s'en tient donc à une lecture stricte de l'article 150-0 D du CGI selon laquelle seuls les droits de mutation à titre gratuit personnellement supportés par le cédant peuvent être pris en compte.

À noter

Cette solution a déjà été retenue par des juges du fond (CAA Bordeaux 4‑6‑2008 n° 06-1412) .

On signalera qu'une atténuation à ce principe a été reconnue par le tribunal administratif de Paris dans l'hypothèse où le donataire appartient au même foyer fiscal que le donateur (TA Paris 12‑11‑2012 n° 1113118) .

… quand bien même le donataire est seul imposable sur la plus-value en sa qualité de nu-propriétaire

Dans cette affaire, la contribuable entendait se pré valoir du principe dégagé dans l'arrêt précité du 11 mai 2017 selon lequel, lorsque le nu-propriétaire est seul imposable sur la plus-value en cas de cession conjointe de titres avec remploi du prix et report du démembrement, le prix effectif d'acquisition des titres cédés comprend l'ensemble des frais et taxes qui ont grevé l'acquisition, tant de la nue- propriété que de l'usufruit, alors même que ces frais ont été acquittés par l'usufruitier.

La rapporteure publique, Karin Ciavaldini, relève cependant, dans ses conclusions, que les motifs de l'arrêt de 2017 « ne doivent pas être lus de manière déconnectée du cas de l'espèce : ils visent les droits que le nu-propriétaire et l'usufruitier ont respectivement acquittés eux-mêmes pour obtenir la nue-propriété et l'usufruit ».

En effet, dans les faits soumis au Conseil d'État en 2017, le propriétaire initial des titres s'était intégralement dessaisi de la propriété de ceux-ci, cédant la nue-propriété des titres à ses enfants, et l'usufruit de ceux-ci à son épouse. Ce sont des frais acquittés par l'épouse usufruitière pour l'acquisition de son propre usufruit que le Conseil d'État avait admis la déduction.

Or, les faits de la présente affaire sont différents.

En l'espèce, les usufruitiers détenaient initialement la pleine propriété des titres cédés, puis en ont transmis la nue-propriété à leur fille en s'en réservant l'usufruit.

Ils n'ont donc supporté aucuns frais pour l'acquisition de l'usufruit des titres.

C'est donc logiquement selon nous que le Conseil d'État pose le principe selon lequel les droits de mutation supportés par les donateurs s'étant réservé l'usufruit des titres cédés ne constituent pas des frais et taxes acquittés pour l'acquisition de la nue-propriété ou de l'usufruit de ceux-ci.

À noter

Cette décision éclaire la portée de l'arrêt de principe rendu en 2017 : les seuls frais acquittés par l'usufruitier que le nu-propriétaire imposable sur la plus-value globale peut déduire de celle-ci sont ceux supportés par l'usufruitier pour l'acquisition de son propre usufruit.

Encore faut-il que de tels frais existent, ce qui n'est pas le cas en l'espèce…

Le Conseil d'État ajoute que la circonstance que le paiement des droits de donation par le donateur est susceptible de constituer une donation rapportable à la succession de ce dernier n'est pas de nature à conférer aux droits de donation supportés par les donateurs le caractère de frais et taxes déductibles du gain net imposable.

  • La nue-propriétaire entendait se prévaloir d'une décision du 7 février 2018, par laquelle le Conseil d'État a jugé que le prix effectif d'acquisition doit s'entendre du montant de l'ensemble des contreparties effectivement mises à la charge de l'acquéreur à raison de l'acquisition, quelles que soient les modalités selon lesquelles il s'acquitte de ces obligations (CE 7‑2‑2018 n° 399399) , en considérant que le caractère rapportable à la succession de la prise en charge des droits de donation par le donateur permettait de regarder le montant de ces droits comme une contrepartie.
  • La rapporteuse publique, Karin Ciavaldini, souligne toutefois qu'il ne peut en aller ainsi dans la mesure où les droits de donation sont un impôt dû, en principe par le nouveau possesseur du bien, à raison de l'acquisition et non une somme entrant dans le prix du bien au sens de l'article 1583 du Code civil.

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