VIE DES AFFAIRES – FUSION - 28.06.2024

Responsabilité de l’absorbante pour des infractions commises par l’absorbée

Une SARL qui a absorbé une autre société lors d’une fusion peut-elle être condamnée pénalement pour une infraction commise avant la fusion par la société absorbée ?

Rappel. La Cour de cassation avait jugé que, en cas d’opération de fusion-absorption entrant dans le champ de la directive européenne « fusion » (aujourd’hui Directive UE 2017/1132 du 14‑6‑2017 : fusion à laquelle sont parties des sociétés par actions) , la société absorbante peut être condamnée à une peine d’amende ou de confiscation pour une infraction commise par l’absorbée avant l’opération (Cass. crim. 25‑11‑2020 n° 18-86955, solution applicable aux fusions conclues après le 25‑11‑2020) .

La chambre criminelle a réaffirmé récemment ce principe du transfert de la responsabilité pénale de l’absorbée à l’absorbante en l’étendant à un cas où les deux sociétés parties à l’opération étaient des SARL (Cass. crim. 22‑5‑2024 n° 23-83180) .

Fondement de la responsabilité pénale

Fusion-absorption : principe de transfert de responsabilité pénale. Sur la base de la combinaison des articles 121-1 du Code pénal, L 236-3 du Code de commerce et L 1224-1 du Code du travail, la Cour de cassation a jugé, comme elle l’avait déjà énoncé dans son arrêt du 25‑11‑2020, que l’activité économique exercée dans le cadre de la société absorbée (en l’espèce, exploitation d’un camping), qui constitue la réalisation de son objet social, se poursuit dans le cadre de la société qui a bénéficié de la fusion et que, ainsi, la continuité économique et fonctionnelle de la personne morale conduit à ne pas considérer la société absorbante comme distincte de la société absorbée, permettant que la première soit condamnée pénalement pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la seconde (ici, installation de mobil-homes en dehors des emplacements autorisés) avant l’opération de fusion-absorption.

La société absorbante peut alors être condamnée à une peine d’amende ou de confiscation pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la société absorbée avant l’opération.

À noter. Selon l’article 121-1 du Code pénal « nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ». L’article L 236-3 du Code de commerce, applicable aux SARL, prévoit que la fusion-absorption, si elle emporte la dissolution de la société absorbée, n’entraîne pas sa liquidation ; le patrimoine de la société absorbée est alors universellement transmis à la société absorbante et les associés de la première deviennent associés de la seconde. Selon les dispositions de l’article L 1224‑1 du Code du travail, en cas de modification de la situation juridique de l’employeur, notamment par suite d’une fusion, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise ; tous les contrats de travail en cours au jour de la fusion se poursuivent donc entre la société absorbante et le personnel de l’entreprise absorbée.

Comme dans l’arrêt du 25‑11‑2020 (pourvoi n° 18-86955) , la chambre criminelle réaffirme que, la personne morale absorbée étant continuée par la société absorbante, celle-ci bénéficie des mêmes droits que la société absorbée et peut se prévaloir de tout moyen de défense que cette dernière aurait pu invoquer.

Dans cette nouvelle affaire, la cour d’appel avait retenu que la SARL absorbante entrait dans le champ de la directive « fusion ». À tort, selon la chambre criminelle, puisque ce texte ne concerne pas les SARL. Cependant, la cour suprême ne censure pas l’arrêt attaqué : ayant constaté qu’il avait été procédé à une opération de fusion-absorption entraînant la dissolution de la société mise en cause et que les faits objets des poursuites, antérieurs à la fusion, étaient caractérisés, la cour d’appel pouvait déclarer la société absorbante coupable de ces faits et la condamner à une peine d’amende ou de confiscation.

Une solution applicable dès maintenant

La chambre criminelle ajoute que, si la Cour de cassation n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer sur les conséquences d’une fusion-absorption en matière pénale lorsque l’opération concerne une SARL, sa doctrine était raisonnablement prévisible depuis l’arrêt du 25‑11‑2020 ayant appliqué pour la première fois les principes ci-dessus aux sociétés anonymes. La solution de son arrêt est donc applicable aux fusions-absorptions conclues après le 25‑11‑2020, telle la fusion litigieuse.

À noter. En 2020, la Cour de cassation avait exclu que sa nouvelle doctrine, qui constituait un revirement de jurisprudence, puisse s’appliquer aux fusions conclues avant le 25‑11‑2020 ou aux fusions conclues à cette date. Dans l’arrêt commenté, au contraire, la Cour ne pose aucune restriction temporelle à l’application du principe posé.

Avec un champ d’application étendu

Transfert de responsabilité pénale applicable aux SARL. L’autre point notable sur lequel la Cour de cassation revient par ce nouvel arrêt porte donc sur le champ d’application du transfert de la responsabilité pénale de l’absorbée à l’absorbante, qui n’est pas limité aux sociétés entrant dans le champ de la directive « fusion » (sociétés par actions), mais concerne aussi les SARL.

Le principe de ce transfert s’applique-t-il également aux sociétés en nom collectif ou en commandite simple ? À notre avis, la réponse est affirmative compte tenu de la généralité des textes sur lesquels la Cour se fonde, notamment l’article L 236-3 du Code de commerce, « applicable aux SARL », prend soin de préciser la Cour, fait partie d’une sous-section du chapitre du Code de commerce sur les fusions consacrée aux « fusions entre sociétés commerciales », quelle qu’en soit la forme. Rien ne s’oppose donc à ce qu’une société en nom collectif ou en commandite simple qui absorberait une autre société commerciale soit déclarée pénalement responsable des faits commis par celle-ci avant la fusion. Il suffit, comme le rappelle la Cour, que l’activité économique exercée dans le cadre de la société absorbée se poursuive dans le cadre de la société absorbante.

En revanche, l’article L 236-3 ne s’appliquant pas aux sociétés civiles, il ne semble pas que la solution doive leur être étendue.

Ce qui ne change pas par rapport à 2020. Dans sa décision du 25‑11‑2020, la Haute Juridiction avait jugé que la société absorbante ne pouvait être condamnée pour des faits délictueux commis par l’absorbée qu’aux peines d’amende ou de confiscation, sauf lorsque la fusion a eu pour objectif, en fraude à la loi, de faire échapper cette dernière à sa responsabilité pénale. L’arrêt du 22 -5-2024 ne revient pas sur ces solutions, qui sont donc maintenues.

Une SARL qui en a absorbé une autre lors d’une fusion peut être condamnée à une peine d’amende ou de confiscation pour des faits constitutifs d’une infraction commise avant la fusion par la société absorbée.

Contact

Éditions Francis Lefebvre | 42 Rue de Villiers, CS50002 | 92532 Levallois Perret Cedex

Tél. : 03 28 04 34 10 | Fax : 03 28 04 34 11

service.clients.pme@efl.fr | pme.efl.fr

SAS au capital de 241 608 € • Siren : 414 740 852
RCS Nanterre • N°TVA : FR 764 147 408 52 • APE : 5814 Z