HEURES SUPPLÉMENTAIRES - PREUVE - 22.06.2023

Temps de travail, preuve, et paiements... 

Tour d’horizon des dernières décisions en matière de temps de travail, d’horaires, et de preuve des h sup, avec leurs conséquences.

La preuve des heures supplémentaires

Le principe. La charge de la preuve des heures travaillées est partagée entre le salarié et l’employeur. Le salarié présente les éléments suffisamment précis à l’appui de sa demande, et c’est à l’employeur de lui répondre en faisant état de ses propres données (Cass. soc. 18‑3‑2020 n° 18-10.919) .

Les éléments du salarié. Ils peuvent être divers, et sachez que nombre de cours d’appel sont censurées pour ne pas les reconnaître comme suffisamment précis, et mettre ainsi la preuve des h effectuées à la charge du salarié.

En pratique. Les juges ont par exemple été censurés pour avoir considéré comme insuffisants :

  • un décompte faisant ressortir des chiffres différents, avec un calcul des h/mois et non/semaine, alors que d’autres éléments (relevé de pointage, décompte des h travaillées/jour, tableau des horaires, attestations) n’ont pas été examinés (Cass. soc. 14‑12‑2022 n° 21-21.411)  ;
  • le décompte mentionnant la durée quotidienne des journées de travail et les temps de transport entre les lieux de mission et de retour au domicile avec les justificatifs de transports, et des tableaux récapitulant sa durée hebdomadaire de travail (Cass. soc. 1‑6‑2022 n° 20-17.360)  ;
  • des décomptes/semaine du nombre d’h qu’il affirme avoir travaillées, sans les horaires, et des attestations imprécises sur les dates des h sup (Cass. soc. 10‑5‑2023 n° 21-21.788)  ;
  • un décompte sur 3 ans des h sup au-delà du forfait, sans les horaires de début et de fin de travail/jour, créant une confusion entre temps de travail effectif et temps de trajet inhabituel domicile/lieux de missions, des extraits d’agenda et courriels (Cass. soc. 10‑5‑2023 n° 21-18.283) .

Et la réponse de l’employeur. C’est la 2e  partie du processus, puisqu’il doit fournir ses propres éléments pouvant contrer ceux du salarié. À défaut, cela jouera forcément. Dans cette affaire par exemple, le salarié avait présenté : les relevés quotidiens des heures de travail qu’il revendiquait, des agendas et notes de frais, des tableaux récapitulatifs de ses heures de travail, semaine après semaine, et des attestations de collègues. Les juges d’appel ont alors considéré ces éléments comme insuffisamment précis : les tableaux étaient établis sur une amplitude théorique de travail sans éléments déterminant ses horaires de début/fin de journée, les indications horaires du salarié sur son agenda professionnel étaient lacunaires, imprécises et impossibles à contrôler, les attestations se bornaient à évoquer sa disponibilité et sa charge importante de travail sans date ni éléments suffisamment précis, et enfin, l’examen des notes de frais ne permettait pas de reconstituer la durée de travail permettant de corroborer les décomptes du salarié. Mais ils sont censurés, car dans cette appréciation, ils n’avaient pas pris en compte le fait que l’employeur, pour sa part, n’avait communiqué en défense aucun élément relatif au contrôle du temps de travail, alors que ce contrôle lui incombe (Cass. soc. 21‑9‑2022 n° 21-13.552) .

Conseil. Sachez que ces règles de preuve s’appliquent aussi lorsque la convention de forfait, qui excluait le paiement d’h sup, est invalidée (Cass. soc. 14‑12‑2022 n° 21-15.209) .

Les paiements
Lorsque les h sup sont reconnues, le salarié a droit à leur paiement, et le cas échéant à la contrepartie en repos, et aux rappels d’indemnité de congés payés correspondante, y compris si la contrepartie en repos ne peut être effectivement prise. En effet, le salarié qui n’a pu demander à la prendre du fait de son employeur a droit à l’indemnisation du préjudice incluant l’indemnité calculée comme s’il avait pris son repos, et le montant des cp afférents (Cass. soc. 1‑3‑2023 n° 21-12.068) .

La preuve des repos

Principe. Au contraire, la charge de la preuve du respect du repos minimal prévu par le droit européen, et donc des seuils et plafonds des durées maximales de travail fixées par le droit interne appartient à l’employeur (Cass. soc. 23‑5‑2017 n° 15-24.507 ; Cass. soc. 10‑5‑2023 n° 21-23.041) .

Même en cas de télétravail. C’est ce qui découle d’une importante décision, où l’employeur invoquait le fait que si les documents produits montraient que le salarié travaillait beaucoup, ils ne prouvaient pas la violation de la législation sur le droit au repos, puisque le salarié effectuait 3 jours en télétravail et conservait une liberté d’organisation de son temps de travail en fonction de ses déplacements. Cette position est invalidée : c’est à l’employeur de prouver le respect des durées maximales de travail et des durées minimales de repos, y compris en cas de télétravail (Cass. soc. 14‑12‑2022 n° 21-18.139) .

Et sans besoin de prouver un préjudice. Il a en effet été récemment jugé que le dépassement de la durée de travail maximale hebdomadaire (Cass. soc. 26‑1‑2022 n° 20-21.636) , ou quotidienne (Cass. soc. 11‑5‑2023 n° 21-22.281) causaient nécessairement un préjudice au salarié.

Les paiements
Le non-respect des repos ou des durées maximales de travail donne lieu à réparation du préjudice, évalué par les juges.

Décompte du temps de travail

C’est seulement lorsque tous les salariés d’un service ou atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif que l’employeur doit établir les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise, pour chaque salarié visé (C. trav. art. L 3171-2) . Les juges ont précisé que c’est l’horaire collectif qui est en cause, pas le lieu de travail : l’employeur n’a pas à faire ce décompte individuel pour des salariés travaillant sur un autre site, mais selon le même horaire collectif de travail négocié (CE 1re-4e ch. réu. 1‑2‑2023 n° 457116) .

Des rappels sur la convention de forfait

Une autonomie indispensable. Le forfait jours ne vise que les cadres disposant d’une autonomie dans leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif applicable, ainsi que les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée disposant d’une réelle autonomie dans leur emploi du temps pour exercer les responsabilités qui leur sont confiées (C. trav. art. L 3121-58) . En cas de litige sur l’autonomie du salarié, c’est le juge qui tranchera au vu des éléments fournis.

Une affaire récente donne des précisions sur la prise en compte – ou non – de certains éléments pour cette appréciation. Un salarié vétérinaire conteste son forfait jours, considérant qu’il n’était pas cadre autonome, car devant notamment respecter les horaires d’ouverture/fermeture du cabinet. La cour d’appel lui donne tort, estimant que du fait de la taille réduite du cabinet et de la présence d’un autre vétérinaire ou d’une assistante, le fonctionnement du cabinet n’impliquait pas l’intégration de l’activité du salarié dans un horaire collectif, et qu’il disposait d’une réelle autonomie d’organisation de son travail rendant impossible son intégration dans des horaires prédéterminés. Mais cette position est censurée : la taille ou le nombre de salariés dans l’entreprise et son organisation ne suffisent pas à caractériser l’autonomie du salarié, ni les raisons le conduisant à ne pas suivre l’horaire collectif (Cass. soc. 25‑1‑2023, n° 21-16.825) .

À savoir. A contrario, on peut noter que dans une autre décision, il a été jugé que le fait pour l’employeur de fixer des 1/2 journées ou des journées de présence au cabinet selon les besoins de l’activité n’empêchait pas la salariée d’organiser, hors de ces contraintes, sa journée de travail et qu’elle était libre de ses horaires et pouvait les organiser à sa guise (Cass. soc. 2‑2‑2022 n° 20-15.744) .

Et un suivi régulier de la charge de travail. Le forfait jour n’est possible que si l’accord l’instaurant prévoit des garanties suffisantes en matière de respect de durées raisonnables de travail, avec un suivi effectif et régulier permettant à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail incompatible avec ce respect. Cette obligation concerne :

  • les accords collectifs : notez qu’un accord prévoyant un état mensuel comportant les jours travaillés, les dates et qualification des jours non travaillés, une déclaration sur la durée du repos quotidien et hebdomadaire, puis un entretien annuel, ainsi que l’obligation pour le salarié d’alerter l’employeur en cas de surcharge de travail a été jugé insuffisant : pour les juges, ces différentes étapes ne constituaient pas un suivi effectif et régulier permettant à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail trop importante (Cass. soc. 8‑2‑2023, n° 21-19.512)  ;
  • et les accords de branche : a ainsi été invalidé le forfait jours de la branche des commerces de détail non alimentaires (accord du 5‑9‑2003 art. 3.2.1) . Les juges ont, là encore, estimé que les différents documents de contrôle et décomptes exigés n’instituaient pas un suivi effectif et régulier permettant à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, n’étaient pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé (Cass. soc. 14‑12‑2022 n° 20-20.572) .

À savoir. Les dispositions conventionnelles sur le forfait jours ont été réécrites de façon à être conformes à ce suivi (avenant n° 8 du 3‑5‑2022 étendu, en vigueur depuis le 1‑4‑2023) .

Les paiements
En cas de convention de forfait nulle, le salarié est considéré comme soumis aux règles de la durée du travail. Il pourra donc réclamer le paiement d’heures supplémentaires, le cas échéant la contrepartie en repos, et les rappels d’indemnité de congés payés correspondant à ces sommes.
Pour rappel, la prescription de l’action en paiement d’un rappel de salaires fondée sur l’invalidité d’un forfait jours est celle des salaires, de 3 ans (Cass. soc. 8‑2‑2023 n° 20-22.994) .

Les obligations liées à la durée du travail sont nombreuses et précises, leur non-respect pouvant aboutir à de lourdes conséquences financières pour l’employeur. Ces dernières décisions rappellent utilement leur appréciation.

Contact

Éditions Francis Lefebvre | 42 Rue de Villiers, CS50002 | 92532 Levallois Perret Cedex

Tél. : 03 28 04 34 10 | Fax : 03 28 04 34 11

service.clients.pme@efl.fr | pme.efl.fr

SAS au capital de 241 608 € • Siren : 414 740 852
RCS Nanterre • N°TVA : FR 764 147 408 52 • APE : 5814 Z